« 12 hommes en colère » ou petite leçon de leadership de crise


©: teachwithmovies.org

On reproche souvent aux grandes écoles en France de former les étudiants de façon trop conventionnelle, en les enfermant dans des concepts et des analyses très formatés.

Je voudrais ici rendre hommage à un intervenant, atypique, de l’Executive MBA d’HEC .
Docteur en Histoire et Anthropologue, et grand admirateur de René Girard, ce professeur aborde les questions de la place du dirigeant, de la gestion des conflits, de la violence en entreprise au travers d’approches différentes et originales.

J’ai participé à une conférence sur le thème du « leadership de crise » étudié au travers de l’analyse d’un grand classique du cinéma américain:« 12 hommes en colère » de Sidney Lumet (1957).
Dans ce film, un jeune homme d’origine modeste est accusé du meurtre de son père et risque la peine de mort. Le jury composé de douze hommes se retire pour délibérer et procède immédiatement à un vote : onze votent coupable, or la décision doit être prise à l’unanimité. Le juré qui a voté non-coupable, sommé de se justifier, explique qu’il a un doute et que la vie d’un homme mérite quelques heures de discussion. Il s’emploie alors à les convaincre un par un.

Henri Fonda, qui incarne le personnage du juré sceptique est le leader. Trois autres types de personnages composent le jury :
les alliés de départ du leader : ceux déjà sceptiques au départ, même s’ils ont voté comme les autres
les adversaires loyaux : ceux qui s’opposent honnêtement avec des arguments
les adversaires dangereux : ceux qui s’opposent, mais qui ne pensent pas
le double du leader : le plus virulent de tous, tout l’oppose au leader (quasi phénomène de mimétisme)

Au départ, Henri Fonda n’explique pas sa position. Il dit juste qu’il ne sait pas. En réalité, il retourne la situation en opposant du « vide ». Ce sont les autres qui doivent maintenant argumenter et le convaincre. Sa stratégie n’est surtout pas d’affronter les adversaires dangereux et encore moins son double, mais de retourner un par un chaque participant. En outre, il demande un vote à bulletin secret pour casser le phénomène de mimétisme.
Il ne divise pas pour régner, mais il sépare pour réunir, il distingue et différencie chacun pour les assembler dans son propre camps. Une fois le rapport de force en sa faveur, les derniers opposants se rendent, et le plus virulent d’entre eux, le « double » abandonne même sans livrer bataille.

Eric Jauffret conclue en expliquant que le conflit ne nait pas de la différence, mais de l’indifférenciation, du mimétisme. La communication de crise du leader doit être équanime : bienveillante et implacable. Le leader attaque les raisonnements, pas les raisonneurs.

Je trouve cette analyse riche d’enseignement. Que ce soit dans un comité de direction ou au sein d’un groupe de travail, nous sommes souvent confrontés à des rapports de force, voire à des conflits plus ou moins violents. Je pense que la démarche de distinguer chaque interlocuteur et de lui répondre individuellement pour emporter son adhésion est évidemment plus constructive que la confrontation directe. Même si cela peut paraître contre intuitif, il est préférable de ne pas s’occuper directement de ses opposants, de leurs répondre. Conforter ses alliés, attirer les neutres permet de créer un groupe plus fort. Et finalement, le vrai leader est celui qui, tout en gardant en vue son objectif final, arrive à maîtriser cette démarche.

Je vous invite  à voir ou revoir ce chef d’œuvre du cinéma américain des années 50 « 12 hommes en colère », avec maintenant un œil nouveau et sous un angle de « professionnel », non pas du cinéma, mais du management.

8 Responses to « 12 hommes en colère » ou petite leçon de leadership de crise

  1. borras pierre laurent says:

    Merci d’avoir mis en ligne ce petit résumé, eMBA 2008, j’ai encore en tête cette conférence extraordinaire d’Eric Jauffret.

    Plus de trois ans après avoir assisté à cette conférence, je tentais de répondre à la question suivante :
    quelle est la première qualité du leader?

    Nous savons tous que les qualités d’un leader sont multiples comme peut le présenter Dominique Schmauch dans son livre les conditions du leadership, mais je crois qu’une des conditions nécessaires est de savoir faire montre d’équanimité.
    Cette qualité nécessite des capacités d’écoute et d’empathie, mais aussi d’humilité, qualités qui s’imposent dans le monde moderne où le leader doit convaincre son équipe par le sens qu’il donne à son action, tout en laissant à chaque membre de cette équipe entière liberté pour exprimer son talent (séparer pour réunir).

    Je serai heureux d’échanger avec toi sur ce sujet

    A bientôt
    Pierre-laurent

    • Effectivement, la notion d’équanimité est au centre de la réflexion d’Eric Jauffret. Elle demande certainement un réel travail sur soi, avant même de vouloir ou pouvoir l’appliquer aux autres.
      En terme de management, je pense aussi qu’un leader doit être capable de se positionner sur des niveaux multiples, à savoir: être capable d’entraîner le groupe (montrer la direction et le chemin), mais aussi gérer les individualités, et même réussir à générer des inter-activités au sein même du groupe (finalement au delà de lui-même). Tout un programme!

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  3. David Feuilloy says:

    Excellente synthèse de l’intervention d’Erice Jauffret.
    Ayant participé à une de ses interventions, nous retrouvons à travers ce billet le message qu’Eric veux transmettre.
    Restons conscient qu’éthique, justesse et maîtrise de soi sont importants tant dans la gestion de crise que dans le management au quotidien.

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