« Bottom of the Pyramid » ou le poids des mots…

J’ai participé la semaine dernière au deuxième rendez-vous organisé dans les locaux de  la MACIF par l’ESSEC, l’Ecole Polytechnique et HEC sur les problématiques de Développement Durable et de Stratégie « Bottom of the Pyramid » (BoP).
Le premier Atelier de Recherche avait eu lieu début 2011. L’invité d’honneur en était Stuart L. Hart , l’un des deux pères fondateurs, (avec C.K. Prahalad) de cette théorie économique du « Bottom of the Pyramid ». Cette année, la conférence intitulée « Second Research Workshop on Sustainability & Impact Challenges at the Base of the Pyramid », recevait comme invité Erik Simanis, Professeur à la Johnson-Cornell University, et co-auteur avec Stuart L.Hart du « Base of the Pyramid Protocol ».
Pour rappel, le terme « Base (ou Bottom) of the Pyramid » désigne communément la partie de la population la plus pauvre de la planète, qui vit avec moins de 2 dollars par jour. La démarche BoP décrit les stratégies, les approches et les pratiques développées et mises en place par certaines entreprises (comme Danone, Unilever, Dupont, Véolia, Essilor, …) pour atteindre cette cible, via des Business Models permettant à la fois l’amélioration de leurs conditions de vie, la lutte contre la pauvreté, mais aussi une réelle viabilité économique.

Avec une pointe de provocation, Erik Simanis a tenté d’expliquer que la majorité des initiatives BoP lancées par les grands groupes internationaux n’ont pas donné de résultats probants.
Pour lui, la raison principale de ces échecs est que ces entreprises sont restées trop focalisées sur l’aspect « Social » et pas assez sur l’aspect « Core Business ».
Pur produit de l’Amérique, sa conception de l’entreprise est qu’elle a pour vocation de faire du profit et pas d’être un levier pour réduire la pauvreté. La possibilité d’améliorer les conditions de vie des populations pauvres existe, mais uniquement comme conséquence de sa posture de base qui est de faire ce qu’elle sait réellement faire, à savoir : vendre des produits et services qui génèrent un profit permettant de rémunérer ceux qui lui ont apporter ses ressources.

Comme illustration de son discours, Erik Simanis décrit le cas de l’entreprise américaine SC Johnson avec qui il a collaboré sur un projet « BoP » au Ghana. SC Johnson est une entreprise familiale spécialisée dans le développement et la commercialisation de produits innovants pour l’entretien de la maison, notamment des produits contre les insectes avec des marques comme Raid ou Baygon. L’objectif social au départ était de lutter contre la malaria dans les régions rurales de ce pays africain. Véritable stratégie BoP sur le papier. Pour autant, le choix de la démarche a été finalement pour cette entreprise, de rester sur son domaine de compétence, à savoir vendre des produits anti-moustiques à des consommateurs.
Dans la pratique, le projet a été conduit dans le cadre suivant :

1. Cadre du projet
D’un projet au départ « Bottom of the Pyramid » pour lutter contre la malaria au sein de la population pauvre, à un projet commercial ayant comme cible, le segment de marché des consommateurs D et E (les deux derniers segments de la pyramide des consommateurs en fonction de leur richesse). Et donc avec un discours, des mots et forcément derrière des process parfaitement compréhensibles, connus et maîtrisés dans l’entreprise. Et même si ces segments D et E sont extrêmement difficiles et coûteux à conquérir, les équipes restent en « terrain connue ».

©sustainablebrands.com

2. Positionnement et management interne du projet
D’un discours assez théorique et « bien-pensant » (basé sur l’engagement, la co-création, etc.) à une réelle opportunité de business avec des objectifs commerciaux et financiers clairs et précis.

3. Mesure des résultats du projet
Très difficile pour une entreprise de mesure l’impact environnemental de son action, dans ce cas précis la diminution de la contraction de la malaria dans les populations rurales à risque. C’est généralement le rôle des organismes gouvernementaux ou des ONG. En revanche, très facile pour elle de mesurer le nombre d’unité vendues, le niveau de prix, la marge, etc… Et l’on peut naturellement considérer qu’une pénétration importante des produits insecticides SC Johnson au sein d’une population particulière doit avoir un impact direct (pas forcément proportionnel) sur la diminution de cette maladie transmise par les moustiques.

La thèse d’Erik Simanis est qu’il est indispensable de traiter les projets BoP comme des vrais projets de business rentables. Contrairement à la pratique courante, il ne faut pas les intégrer dans les Département Développement Dural ou CSR (Corporate Social Responsibility).
Logiquement, de nombreuses voix se sont élevées contre ce discours et cette théorie. En réalité, la grande question est surtout de déterminer le rôle de l’entreprise. Doit-elle satisfaire uniquement ses actionnaires ou bien doit-elle prendre en compte toutes les parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, environnement, etc.)? La question n’est évidemment pas tranchée.

Pour autant, ce que je retiens de cette polémique est l’importance des mots que l’on met sur ces projets. Je pense, en effet, qu’une des raisons du succès ou de l’échec de tels projets BoP réside dans l’utilisation d’un vocabulaire spécifique et plus profondément dan la valeur que les personnes vont donner à ces mots (en fonction de leur cadre de valeur, expérience, formation, intérêts, univers, etc.) J’en veux pour preuve, l’illustration forte donnée par François Perrot, qui a initié les projets BoP dans le Groupe Lafarge. Lorsqu’il a commencé à travailler sur le sujet en 2007, un des dirigeants de l’entreprise lui a dit textuellement « le BoP n’est pas une opportunité business ». Trois plus tard, après avoir engagé des expérimentations, notamment en Indonésie, un programme BoP de plus grande ampleur est introduit dans le groupe, sous le nom de « Logement Abordable ». Le même dirigeant considère aujourd’hui que le « programme Logement Abordable est une vraie opportunité business ».

Tout est dit……

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